Pourquoi s’intéresser au dialogue de nos jours ? Pourquoi ressurgit-il aujourd’hui ?
Le dialogue c’est une pratique immémoriale : imaginez un groupe d’humain qui s’assoit ensemble autour d’un feu pour raconter une histoire, résoudre un conflit, décider ensemble de la direction à prendre. Ils ont été invités. Ils ont pris place. Ils ont posé leur parole. Jusqu’à ce que l’un d’eux se lève et montre la voie, et que tous le suivent. C’est de cela qu’il s’agit : que tous suivent, en sachant exactement ce que chacun a à
faire.
Là je pense que vous commencez à voir où je veux en venir. Il ne s’agit plus aujourd’hui seulement de monter à la tribune, de faire rêver, d’inspirer. Il s’agit que chacune des personnes présentes ait intégré à l’intérieur de sa propre histoire, de ses propres expériences, de ses propres représentations, de ses propres rêves, la place d’un rêve, d’une histoire, d’un chemin forcément différent de celui qui est à l’intérieur d’elle-même.
Dans un monde qui se caractérise de plus en plus par les fractures, économiques, sociales, politiques, mais aussi écologiques et spirituelles, comme nous le rappelle
Otto Scharmer, nous voyons bien que nous n’arrivons plus à rejoindre l’autre dans ce qu’il croit.
Ainsi, il y a quelques jours, ma fille qui a attrapé la Covid, me racontait par texto la visite du technicien appelé pour un problème de ligne téléphonique. Il arrive chez elle sans masque.
Ma fille, interloquée, le prévient qu’elle est malade et lui suggère de faire attention.
« Oh, lui répond-il, ma femme et toute ma famille aussi sont malades en ce moment, mais j’y crois pas trop à ce truc ».
Elle ponctuait son message d’un émoticône perplexe.
Voilà quelqu’un qui ne croit pas à une réalité qui touche sa famille. Qu’est-ce que cela peut-il bien signifier ? Que veut-il dire ? Comment pense-t-il ? Comment s’élaborent ses croyances ? Et si je devais travailler avec cette personne, comment vais-je réussir à construire quelque chose avec quelqu’un que je ne comprends pas du tout ? Comment faire ensemble alors que nous vivons dans des mondes intérieurs différents ?
Dialogue à propos d'une catastrophe
Je pense maintenant à cette anecdote, entendue
sur France Musique, qui raconte une collaboration étonnante.
Sébastien Balibar, physicien, membre de l’Académie des Sciences, directeur de recherches au CNRS et à l’ENS, autrement dit un grand scientifique, raconte comment Philippe Manoury, compositeur, lui a demandé de venir parler de la catastrophe de Fukushima aux musiciens qui devaient jouer Kein Licht, qualifié d’ « opéra pour penser », œuvre inspirée de ladite catastrophe.
Dans les combles de l’Opéra-Comique, au milieu de ces 30 personnes, il leur explique Fukushima. J’imagine la scène, moi qui ne comprends pas grand-chose à la physique, et probablement encore moins à la physique nucléaire, mais qui ait été, comme vous sans doute, horrifiée par les images de la catastrophe auxquelles j’ai associé d’autres images : Hiroshima- Nagasaki- Tchernobyl. Parce que chaque signifiant se trouve associé à d’autres à l’intérieur de chacun de
nous.
Il parle patiemment, morceaux par morceaux, dans un langage simple : « moi j’étais au milieu, tout seul, à raconter ma physique » comme il dit. Au bout d’une heure, il a peur d’ennuyer. « Peut-être que vous en avez assez, ça fait 1h, et je peux pas tout expliquer ? », les interroge-t-il. « Non, non, on continue », répondent-ils.
Alors les questions reprennent, il répond, dit pourquoi la catastrophe japonaise est un accident, le résultat d’une erreur, n’a rien à voir avec Tchernobyl et qu’en France un tel accident lui parait impossible.
« C’était pas du tout évident, cela me paraissait impossible, avoue-il, mais il fallait que je me fasse croire ».
Il conclura en disant : « au bout de 3heures, on s'est dit au revoir avec amitié ».
Dans cette histoire, on voit bien qu’il ne s’agit pas d’un discours descendant, d’un cours, mais d’une parole dans les deux sens, d’un dialogue, entre un sachant qui n’a rien à gagner, rien à perdre, qui tente de faire passer son message, sans enjeux ni conviction d’y arriver, à des personnes dont la mission consiste à traduire quelque chose dans un langage qui exprime des émotions. Quelque chose, oui, mais quelle chose ?
Alors, à partir de représentations intérieures initiales vraisemblablement contrastées, mais très probablement fortes, se construit petit à petit une représentation commune. Qui va alors pouvoir s’exprimer sous une autre forme. Une forme destinée à penser, n’oubliez pas. Pas facile quand on parle d’accident nucléaire et qu’on n’essaie pas de jouer sur la corde facile, la corde de l’indignation émotionnelle.
Deux éléments remarquables
Dans cette histoire, il y a deux éléments supplémentaires remarquables.
Le premier, c’est qu’il constate lui-même que cela a créé entre eux des liens forts : « on s'est dit au revoir avec amitié ». Depuis, dira-il plus tard dans l’interview, il est ami avec le compositeur. Car oui, le dialogue vrai, cela crée des liens. Cela tisse une trame de sens partagée entre les personnes, une trame susceptible de durer.
Le second c’est la gentillesse. On parlerait dans l’entreprise d’aujourd’hui de bienveillance. Visiblement cet échange se caractérise par de la gentillesse. D’ailleurs, à la grande surprise de Balibar, Manoury montera sur scène pour le remercier nommément le jour de la représentation. Pour avoir offert son savoir sous la forme de partage, d’échanges. Dans un sens et dans l’autre, aller ET retour. En effet, « la
gentillesse enrichit notre vie ; avec la gentillesse, les choses mystérieuses deviennent claires, les choses difficiles deviennent faciles, et les choses ennuyeuses deviennent gaies », disait Léon Tolstoï.
Je fais le pari, avec Tolstoï, que faire le choix de la gentillesse est la seule solution possible. Même s’il en coûte ! En ces temps de positions radicales, il en coute, forcément. Il m’en coute. Nous devons également apprendre à être doux avec nous-mêmes, dans un dialogue intérieur qui a besoin de grandir.
EMBARQUER TOUT LE MONDE
Alors, pourquoi parle-t-on tant de dialogue aujourd’hui, parfois pour le qualifier d'impossible ? Parce que nos défis sont tels que nous devons trouver le moyen d’embarquer tout le monde, dans une vision que nous aurons co-construite.
Comment les entreprises feront-elles pour se transformer entièrement pour répondre aux défis technologiques ET planétaires ET de sens, qui impliquent probablement de se réinventer en une forme qui n’existe pas encore ?
Le dialogue, à un moment ou à un autre, sera la forme la plus adaptée pour donner naissance ou concrétiser cette transformation.
Les bulles de dialogue c’est ce pari-là : le pari de la gentillesse, de l’écoute de la parole de l’autre, de la suspension de jugement le temps d’un échange, et de la garantie que sa parole sera entendue. Un temps suspendu en quelque sorte, un peu comme le café suspendu que l’on offre à l’inconnu.
C’est aussi le pari du dialogue construit autour de quelques règles simples et d’un processus structuré facile à suivre, fait pour nous apprendre ou réapprendre à la fois à écouter, à poser notre parole et à dialoguer pour trouver une représentation puis une voie commune.
Le chemin des Bulles
En 2021, les Bulles de dialogue ont continué leur chemin. Nous avons noué de solides partenariats qui nous ont montré combien la formule était adaptée aux communautés existantes, pour créer ou renforcer les liens et discuter de sujets complexes.
Une entreprise cliente qui les a adoptées dans le cadre de sa politique RSE a tâtonné avant de trouver le type de sujet particulièrement adapté à son contexte : à l’intersection entre problématiques personnelles et professionnelles. Le dialogue structuré permet alors à chacun de s’exprimer, d’apprendre, et de retrouver ou affiner le sens qu’il donne à son travail, sens malmené en ces temps agités où les entreprises émettent des messages contradictoires. Un
espace utile pour maintenir la cohésion globale et renforcer le pouvoir d’agir.
Et vous, , vous intéressez-vous au dialogue ? Quelle place le dialogue tient-il dans votre vie ? Aimeriez-vous le pratiquer davantage ?
A bientôt, pour de belles conversations
Christine